Quand bien même j’aurais peur…

Je ne sais pas si vous arriverez à voir cette histoire comme moi à y croire…
J’ai déjà eu l’occasion de vous raconter ici à quel point la marche solitaire m’offrait à la lumière de son aveuglement des détours spirituels et parfois mystiques… Qui lorsque je “reviens à la maison-raison“ résonnent en moi sous l’allure de quelques picotements persistants puis s’effacent peu à peu, comme un signal sonore s’amenuise dans le vacarme… Pourtant, là, ce fut différent… Et le bruit demeure fort dans mes yeux…
J’avais choisi un long vallon, bien à l’écart des passages, enfoncé dans son creux suspendu. Le sentier y psalmodiait ses murmures curvilignes, à l’abri d’une mer de chênes verts, touffus et serrés comme à la parade… C’était le grand silence de Midi… Celui qu’on ne partage pas…
Je m’occupai l’esprit à repenser avec une tendre malice à ce Moïse décrit par Goethe dans son Divan d’Orient et d’Occident : un enfant gâté, bourgeois fantasque, être pleutre et veule, inexpérimenté, un brin présomptueux, égarant pendant 40 ans (que l’auteur ramène selon ses sources à 2 ans) son peuple dans un territoire à peine grand comme la Croatie, échouant dans toutes ses négociations avec les tribus locales, menacé de multiples séditions, malmené par ses proches, trahi par son avant-garde…
Cette légèreté me donnait à sourire tant elle s’accordait si bien à mes pas qui flottaient de facilité et se moquaient, dans leur fraicheur naïve, de tous les commandements. Les heures passaient ainsi, étirées, libérées à poursuivre cette sente éloignée de tout soupçon. Au fil de son cours, elle finit par me laisser à l’orée d’un vaste pré en friche au bord duquel se trouvait une massive ferme abandonnée, jugulée par de folles herbes tricotant le parfait amour avec sa carcasse minérale, ruinée à l’or du Temps… Amusé à faire le tour du propriétaire, je découvris à l’arrière un chêne blanc, immense et probablement séculaire, dont j’avais aperçu la cime lors de mon approche… Une figure tutélaire de commandeur offrant sous son ramage un séjour frais et ombré de toute splendeur… J’étais en admiration quand, soudain, sortit à quelques mètres de moi, littéralement du tronc (en tout cas, c’est ainsi que je me le remémore), une femme aux cheveux blonds crénelés, entre deux âges, vêtue d’une chemise bouffante ivoire, d’un large pantalon vert pomme et d’un sac à dos famélique… Honnêtement, cette double apparition – d’abord le chêne comme une tour de Babel puis cette présence féminine presque virginale – me saisit. J’étais à l’arrêt un peu troublé quand elle me sourit et me salua. Très vite, nous nous mîmes à échanger debout quelques civilités convenues de marcheurs mais je remarquai tout aussi vite qu’elle éludait chacune de mes questions par une nouvelle à mon attention… Au bout d’un maigre quart d’heure, nous étions complices, frères ou sœurs, mais ne savais toujours pas la moindre chose sur elle alors que je lui avais déjà révélé avec forces détails qui j’étais, où j’allais, d’où je venais… Elle me tenait et je me sentais comme délicatement prisonnier d’une étreinte impalpable… Puis vint l’heure de la séparation, comme une décision qu’elle aurait prise sans m’en parler… Elle m’invita alors à la prendre en photo… Je trouvai cela sur le moment étrange, outre que je suis peu enclin à cette pratique, mais m’y résous avec mon téléphone… Je m’exécutai la cadrant à la va-vite sous ce chêne tentaculaire, vertigineux dans ses clairs-obscurs… sans prendre le temps de contrôler ma prise… Probablement par pudeur et aussi parce que je ressentais une inquiétante émotion en moi qui m’orientait à privilégier la fuite à tout autre rituel.
Un peu plus tard, revenu à mon désert mais toujours à l’égarement de cette rencontre, je décidai de marquer la pause pour regarder le cliché numérique… Sur l’image, il y avait bien le chêne…
Mais nulle présence d’elle…
Juste une absente…

4 réflexions sur “Quand bien même j’aurais peur…

  1. Si la maison de la fée est le chène, elle est tout simplement rentrée chez elle 😉 Ce devait être une fée facétieuse… qui aime l’être humain et s’amuse le surprendre.

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